Page:Maupassant - Œuvres posthumes, II, OC, Conard, 1910.djvu/34

Cette page n’a pas encore été corrigée

- Ah ! ... vous êtes pêcheur, monsieur Boivin ?

- Si je suis pêcheur, Monsieur ! Mais c'est ma passion, la pêche !

Alors Patissot l'interrogea avec un profond intérêt. Boivin lui nomma tous les poissons qui folâtraient sous cette eau noire... Et Patissot croyait les voir. Boivin énuméra les hameçons, les appâts, les lieux, les temps convenables pour chaque espèce... Et Patissot se sentait devenir plus pêcheur que Boivin lui-même. Ils convinrent que, le dimanche suivant, ils feraient l'ouverture ensemble, pour l'instruction de Patissot, qui se félicitait d'avoir découvert un initiateur aussi expérimenté.

On s'arrêta pour dîner devant une sorte de bouge obscur que fréquentaient les mariniers et toute la crapule des environs. Devant la porte, le père Boivin eut soin de dire :

- Ça n'a pas d'apparence, mais on y est fort bien.

Ils se mirent à table. Dès le second verre d'argenteuil, Patissot comprit pourquoi Mme Boivin ne servait que de l'abondance à son mari : le petit bonhomme perdait la tête ; il pérorait, se leva, voulut faire des tours de force, se mêla, en pacificateur, à la querelle de deux ivrognes qui se battaient ; et il aurait été assommé avec Patissot sans l'intervention du patron. Au café, il était ivre à ne pouvoir marcher, malgré les efforts de son ami pour l'empêcher de boire ; et, quand ils partirent, Patissot le soutenait par les bras.

Ils s'enfoncèrent dans la nuit à travers la plaine, perdirent le sentier, errèrent longtemps ; puis, tout à coup, se trouvèrent au milieu d'une forêt de pieux, qui leur arrivaient à la hauteur du nez. C'était une vigne avec ses échalas. Ils circulèrent longtemps au travers, vacillants, affolés, revenant sur leurs pas