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pris pour nous la place de son Inspirateur. Qu’est-ce que Dieu, mot vague, avant le Christ ? Nous autres qui ne savons rien et ne nous attachons à rien que par nos pauvres organes, pouvons-nous adorer ces lettres dont nous ne comprenons pas le sens, ce Dieu ténébreux dont nous ne nous figurons rien, ni l’existence, ni l’intention, ni le pouvoir, dont nous ne connaissons qu’un petit essai de création maladroit, méprisable, la terre, sorte de bagne pour les âmes tourmentées de savoir, et pour les corps en mauvaise santé. Non, nous ne pouvons pas aimer ça. Mais le Christ, chez qui toute pitié, toute grandeur, toute philosophie, toute connaissance de l’humanité, sont descendues on ne sait d’où, qui fut plus malheureux que les plus misérables, qui naquit dans une étable et mourut cloué sur un tronc d’arbre, en nous laissant à tous la seule parole de vérité qui soit sage et consolante pour vivre en ce triste endroit, celui-là c’est mon Dieu, c’est mon Dieu, à moi.

Un soupir à côté de lui le fit taire. André pleurait dans sa voiture d’infirme.

Le prêtre le baisa sur le front. Le jeune homme balbutia :

— Comme j’aime vous entendre parler ! Je vous comprends parfaitement.

Et le prêtre lui répondit :

— Pauvre petit, toi aussi, tu as reçu de l’impitoyable destinée un triste sort. Mais tu auras au moins, je crois, en compensation de toutes les joies physiques, les seules belles choses qui soient permises aux hommes, le rêve, l’intelligence et la pensée…………

Et, sur un feuillet non paginé, nous lisons le passage suivant qui ne semble être isolé du texte ci-dessus que par une page égarée.