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l’intitulerais : « Le Dossier de Dieu » : et il serait terrible, monsieur le curé.

L’abbé Marvaux soupira :

— Nous ne pouvons rien pénétrer de ces questions et de ces mystères en dehors de nos facultés cérébrales. Moi, je ne crois pas que je comprenne Dieu. Il est trop épandu et trop universel pour nos esprits. Le mot Dieu représente une conception et une explication quelconques, un refuge contre les doutes, un asile contre la peur, une consolation contre la mort, un remède contre l’égoïsme. C’est une formule de la phraséologie religieuse. Dieu : ce n’est pas un Dieu. Nous autres hommes, nous ne pouvons aimer qu’un Dieu tangible et visible. L’autre, l’inconnu, l’inconnaissable, l’immense je ne sais quoi ne nous ayant pas donné un sens pour le comprendre, par pitié pour nos cœurs nous envoya le Christ.

Le prêtre, halluciné, se tut ; puis, suivant sa pensée unique, murmura :

— Qui sait ? le Christ aussi a peut-être été trompé par Dieu dans sa mission, comme nous le sommes. Mais il est devenu Dieu lui-même pour la terre, pour notre terre misérable, pour notre petite terre couverte de souffrants et de manants. Il est Dieu, notre Dieu, mon Dieu, et je l’aime de tout mon cœur d’homme et de toute mon âme de prêtre. O maître crucifié sur le Calvaire, je suis à toi, ton fils et ton serviteur.

Le médecin, surpris, murmura :

— Comme c’est bizarre ce que vous me dites là !

— Oui, reprit le prêtre, le Christ doit être aussi une victime de Dieu. Il en a reçu une fausse mission, celle de nous illusionner par une nouvelle religion. Mais le divin Envoyé l’a accomplie si belle, cette mission, si magnifique, si dévouée, si douloureuse, si inimaginablement grande et attendrissante, qu’il a