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les grandeurs et toutes les petitesses de l’idéal. Et il conclut :

Vous avez peut-être raison. À votre point de vue, vous êtes dans le vrai. Et pour vous, c’est le seul bon.

— Parbleu ! jeta le médecin d’une voix claire, qui sonna dans l’air sec.

Puis le prêtre ajouta :

— Vous êtes pourtant un grand cœur, car vous restez ici pour votre mère.

Le docteur tressaillit ; on avait touché sa plaie, sa peine, sa tendresse intimes.

— Oui, je ne la quitterai jamais.

Leurs yeux tombèrent ensemble sur l’infirme qui les écoutait de toutes ses oreilles et les comprenait très bien.

Et les regards des deux hommes s’étant rencontrés ensuite se dirent des choses mystérieuses sur la destinée et l’avenir de cet enfant, en les comparant aux leurs. C’était lui le misérable.

Mais la pensée du Christ hantait l’abbé. Il reprit la conversation :

— Moi, j’adore le Christ.

Le médecin riposta :

— Monsieur le curé, depuis que ce monde existe tous les dieux conçus par la pensée humaine sont des monstres. Est-ce pas Voltaire qui a dit : « L’Écriture prétend que Dieu a fait l’homme à son image, mais l’homme le lui a bien rendu ? »

Il accumulait les preuves, les injustices, les férocités, les méfaits de la Providence. Il ajouta :

— Moi qui suis médecin de pauvres gens, je les vois, ces méfaits, je les constate tous les jours. Vous aussi, d’ailleurs, qui soignez leurs âmes. Si j’avais à écrire un livre, un recueil de documents là-dessus, je