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teuils, les sabres jetés sur la table, sur les livres, sur les poètes, tandis que deux plantons gardaient la porte.

Du premier coup d’oeil elle distingua le chef, le dos au feu, une semelle levée à la flamme. Il avait gardé sa casquette d’uniforme, et dans sa figure poilue de barbe rousse semblaient luire la joie de la victoire et le plaisir d’avoir chaud.

En la voyant entrer il fit de la main un léger salut militaire sans se découvrir, impertinent et bref, puis il dit avec cette prononciation allemande qui paraît grasse de choucroute et de saucisse :

— Fous êtes la tame de ce château ?

Elle était debout devant lui, sans avoir rendu son insolent salut, et elle répondit un « oui » si sec que tous les yeux allèrent de la femme au soldat.

Il ne s’émut pas et reprit :

— Gompien êtes-fous de bersonnes ici ?

— J’ai deux vieux domestiques, trois bonnes et trois valets de ferme.

— Fotre mari, qu’est-ce qu’il fait ? où est-il ?

Elle répondit hardiment :

— Il est soldat, comme vous ; et il se bat.

L’officier répliqua avec insolence :

— Eh pien, il est pattu alors.

Et il rit d’un gros rire barbu. Puis, quand il eut ri, deux ou trois rirent, aussi lourdement, avec des timbres différents, qui donnaient la note des gaietés teutonnes. Les autres se taisaient en examinant avec attention cette Française courageuse.

Alors elle dit, bravant le chef d’un regard intrépide :

— Monsieur, vous n’êtes pas un gentilhomme, pour venir insulter une femme chez elle, comme vous faites.