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Etait-il mort ou prisonnier ?

Cette phrase, toujours la même, hantait sa pensée, obsédait ses nuits et ses jours.

Et maintenant encore, elle la répétait en marchant d’un bout à l’autre du salon.

Les heures et les demies sonnaient l’une après l’autre sur le timbre du cartel, et la comtesse ne se décidait point à monter. Une détresse plus poignante que celle des autres soirs, une espèce de pressentiment sinistre opprimait son âme. Elle s’assit, se releva, se remit à songer, puis, lasse d’esprit comme de corps, elle apporta les coussins du divan et fit avec son grand fauteuil une sorte de lit devant le feu pour essayer de sommeiller là quelque temps encore, tant sa chambre lui faisait peur. Ses yeux enfin s’alourdissaient et sa pensée s’engourdissait dans ce trouble de la vie qui s’endort, de l’être anéanti par le repos, quand un bruit bizarre, inconnu, la fit tressaillir et la redressa.

Elle écoutait, haletante. C’étaient des voix qui s’approchaient, des voix d’hommes. Alors, courant à la fenêtre, elle l’entr’ouvrit pour mieux entendre derrière l’auvent. Elle distingua des pas de chevaux dans la neige, un bruit de fer, de sabres heurtés, et les voix, de plus en plus proches, prononçaient des mots étrangers.

Eux ! C’étaient les Prussiens !

Elle s’élança vers la sonnette et sonna, sonna de toute sa force, comme on sonne le tocsin dans les pressants périls. Puis l’image de son enfant, de son petit Henri, la frappant comme une balle au cœur, elle s’élança dans l’escalier vers sa chambre.

Les domestiques, réveillés, accouraient, une bougie à la main, à peine vêtus : le valet de pied, le cocher, une servante, une cuisinière et la bonne de l’enfant.