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Une minute plus tard, la porte s’ouvrait devant un vieux monsieur qui avait gardé un air frais dans sa belle personne soignée, ses joues claires et ses favoris blancs qui brillaient comme de l’argent.

Il était grand, un peu gros, avec un air fortuné. On l’appelait encore le beau Boutemart. C’était le type du commerçant, de l’industriel normand ayant fait une grosse fortune. Rien n’atteignait sa belle humeur, son inaltérable sang-froid, son absolue confiance en lui. Depuis la guerre une seule chose l’attristait profondément, c’était de ne plus voir fumer sur le ciel les quatre cheminées de ses deux grandes usines où il s’était enrichi par les produits chimiques. Il avait cru d’abord à la victoire avec cette solide et vantarde confiance de chauvin dont tout bourgeois français était gonflé avant cette fatale année de 1870. Maintenant, pendant ces défaites sanglantes, ces débâcles, ces retraites, il murmurait avec la conviction inébranlable d’un homme qui a réussi sans cesse en ses projets : « Bah ! c’est une rude épreuve, mais la France se relève toujours. »

Sa fille courut à lui, les bras ouverts, tandis que le petit Henri lui saisissait une main. Beaucoup de baisers furent échangés.

Elle demanda :

— Rien de nouveau ?

— Si. On dit que les Prussiens sont entrés à Rouen aujourd’hui. L’armée du général Briant s’est repliée sur le Havre par la rive gauche. Elle doit être maintenant à Pont-Audemer. Une flotte de chalands et de bateaux à vapeur l’attend à Honfleur pour la transporter au Havre.

La comtesse frémit. Comment ! les Prussiens étaient si près, dans le pays, à Rouen, à quelques lieues !

Elle murmura :