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esprit bon enfant qui le faisait rechercher. Il demanda, marquant son intérêt:

- Eh bien! et le coeur?

- Oh! ça va bien, c'est fini.

- Tout à fait?

- Oui.

- Tu es venu à Aix pour la convalescence?

- Comme tu le dis. je change d'air.

- En effet, l'air où l'on a aimé peut toujours garder le dangereux microbe de l'amour.

Non, mon cher. Il n'y a plus aucun danger. Mais je suis resté trois ans avec elle. Il faut donc que je modifie mes habitudes; et pour cela il n'y a rien de tel qu'un déplacement.

- Tu es arrivé ce matin?

- Oui.

- Et tu vas demeurer ici quelque temps?

- Jusqu'à ce que je m'ennuie.

- Oh! tu ne t'ennuieras pas, c'est amusant ici, même très amusant.

Et Lucette fit un tableau d'Aix. Il raconta cette ville de douches et de casinos, d'hygiène et de plaisir, où tous les princes de la terre que les trônes ont rejetés fraternisent avec tous les rastaquouères dont les prisons n'ont pas voulu. Il exprima, avec sa verve familière, cette salade unique de mondaines et de drôlesses, dînant aux tables voisines, parlant à haute voix les unes des autres, et jouant, une heure plus tard, coude à coude autour du même tapis. Il montra, spirituellement, cette familiarité suspecte, cette bienveillance incompréhensible de gens inabordables ailleurs, et qui ont choisi pour faire la fête, et s'acoquiner avec n'importe qui, cette petite ville de Savoie. Les mêmes altesses, les mêmes souverains futurs ou dépossédés, les ducs, grands ducs ou petits ducs,