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déplaisait à tous ses chefs, qui le laissaient languir dans l'attente éternelle et désespérée de l'augmentation, cet idéal de l'employé.

Il travaillait pourtant ; mais il ne savait pas le faire valoir : et puis il était trop fier, disait-il. Et puis sa fierté consistait à ne jamais saluer ses supérieurs d'une façon vile et obséquieuse, comme le faisaient, à son avis, certains de ses collègues qu'il ne voulait pas nommer. Il ajoutait encore que sa franchise gênait bien des gens, car il s'élevait, comme tous les autres d'ailleurs, contre les passe-droits, les injustices, les tours de faveur donnés à des inconnus, étrangers à la bureaucratie. Mais sa voix indignée ne passait jamais la porte de la case où il besognait, selon son mot : "Je besogne... dans les deux sens, monsieur".

Comme employé d'abord, comme Français ensuite, comme homme d'ordre enfin, il se ralliait, par principe, à tout gouvernement établi, étant fanatique du pouvoir... autre que celui des chefs.

Chaque fois qu'il en trouvait l'occasion, il se postait sur le passage de l'empereur afin d'avoir l'honneur de se découvrir : et il s'en allait tout orgueilleux d'avoir salué le chef de l'État.

A force de contempler le souverain, il fit comme beaucoup : il l'imita dans la coupe de sa barbe, l'arrangement de ses cheveux, la forme de sa redingote, sa démarche, son geste - combien d'hommes, dans chaque pays, semblent des portraits du prince ! - Il avait peut-être une vague ressemblance avec Napoléon III, mais ses cheveux étaient noirs - il les teignit. Alors la similitude fut absolue ; et, quand il rencontrait dans la rue un autre monsieur représentant aussi la figure impériale, il en était jaloux et le regardait dédaigneusement. Ce besoin d'imitation devint bientôt son idée fixe, et, ayant entendu un huissier des Tuileries contrefaire la