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CRI D’ALARME.

cère que je la crus, pendant une minute, dégrisée par l’étonnement.

— Nous… Mais que tu es bête, mon cher. Est-ce qu’on parle jamais de ça… Ah ! ah ! ah ! Est-ce que ton domestique te raconte ses petits profits, le sou du franc, et les autres. Eh bien, ça, c’est notre sou du franc. Le mari ne doit pas se plaindre, quand nous n’allons point plus loin. Mais que tu es bête !… Parler de ça, ce serait donner l’alarme à tous les niais ! Mais que tu es bête !… Et puis quel mal ça fait-il, du moment qu’on ne cède pas !

Je demandai encore, très confus :

— Alors, on t’a souvent embrassée ?

Elle répondit avec un air de mépris souverain pour l’homme qui en pouvait douter :

— Parbleu… Mais toutes les femmes ont été embrassées souvent… Essaye avec n’importe qui, pour voir, toi, gros serin. Tiens, embrasse Mme de X…, elle est toute jeune, très honnête… Embrasse, mon ami,… embrasse… et touche… tu verras… tu verras… Ah ! ah ! ah !…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Tout à coup elle jeta son verre plein dans le lustre. Le Champagne retomba en pluie, éteignit trois bougies, tacha les tentures, inonda la table, tandis que le cristal brisé s’éparpillait dans ma salle à manger. Puis elle voulut saisir la bouteille pour en faire autant, je l’en empêchai ; alors elle se mit à crier, d’une voix suraiguë… et l’attaque de nerfs arriva… comme je l’avais prévu…

Quelques jours plus tard, je ne pensais plus guère à cet aveu de femme grise, quand je me trouvai, par