Et mon père se mit à rire d’une façon si immodérée, que ma mère cria à travers le mur :
— Qu’est-ce que tu as donc, Gontran ?
Il répondit :
— Viens ici, Catherine.
Et quand elle fut entrée, il lui raconta, avec des larmes de gaieté plein les yeux, que son imbécile de valet était tout bêtement malade d’amour.
Au lieu de rire, maman fut attendrie.
— Qui est-ce que tu aimes comme ça, mon garçon ?
Il déclara, sans hésiter :
— C’est Louise, madame la baronne.
Et maman reprit avec gravité :
— Nous allons tâcher d’arranger ça pour le mieux.
Louise fut donc appelée et interrogée par ma mère ; et elle répondit qu’elle savait très bien la flamme de Jean, que Jean s’était déclaré plusieurs fois, mais qu’elle ne voulait point de lui. Elle refusa de dire pourquoi.
Et deux mois se passèrent, pendant lesquels papa et maman ne cessèrent de presser cette fille d’épouser Jean. Comme elle jurait n’aimer personne autre, elle ne pouvait apporter aucune raison sérieuse à son refus. Papa, enfin, vainquit sa résistance par un gros cadeau d’argent ; et on les établit, comme fermiers, sur la terre où nous sommes aujourd’hui. Ils quittèrent le château, et je ne les vis plus pendant trois ans.
Au bout de trois ans, j’appris que Louise était morte de la poitrine. Mais mon père et ma mère moururent à leur tour, et je fus encore deux ans sans me trouver en face de Jean.
Enfin, un automne, vers la fin d’octobre, l’idée me vint d’aller chasser sur cette propriété, gardée avec soin, et que mon fermier m’affirmait être très giboyeuse.