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PREMIÈRE NEIGE.

« Tu n’as seulement pas eu un rhume depuis que tu es ici. »

Il fallait donc qu’elle fût malade, qu’elle toussât pour qu’il comprît qu’elle souffrait !

Et une indignation la saisit, une indignation exaspérée de faible, de timide.

Il fallait qu’elle toussât. Alors il aurait pitié d’elle, sans doute. Eh bien ! elle tousserait ; il l’entendrait tousser ; il faudrait appeler le médecin ; il verrait cela, son mari, il verrait !

Elle s’était levée nu-jambes, nu-pieds, et une idée enfantine la fit sourire :

— Je veux un calorifère, et je l’aurai. Je tousserai tant, qu’il faudra bien qu’il se décide à en installer un.

Et elle s’assit presque nue, sur une chaise. Elle attendit une heure, deux heures. Elle grelottait, mais elle ne s’enrhumait pas. Alors elle se décida à employer les grands moyens.

Elle sortit de sa chambre sans bruit, descendit l’escalier, ouvrit la porte du jardin.

La terre, couverte de neige, semblait morte. Elle avança brusquement son pied nu et l’enfonça dans cette mousse légère et glacée. Une sensation de froid, douloureuse comme une blessure, lui monta jusqu’au cœur ; cependant elle allongea l’autre jambe et se mit à descendre les marches, lentement.

Puis elle s’avança à travers le gazon, se disant :

— J’irai jusqu’aux sapins.

Elle allait à petits pas, en haletant, suffoquée chaque fois qu’elle faisait pénétrer son pied nu dans la neige.

Elle toucha de la main le premier sapin, comme pour bien se convaincre elle-même qu’elle avait accompli jusqu’au bout son projet ; puis elle revint. Elle crut deux ou trois fois qu’elle allait tomber, tant elle se sentait engourdie et défaillante. Avant de rentrer