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PREMIÈRE NEIGE.

pénétrée par la lugubre mélancolie de la nuit tombant sur les terres désertes.

Puis elle sonnait pour qu’on apportât la lampe ; et elle se rapprochait du feu. Elle brûlait des monceaux de bois sans parvenir à échauffer les pièces immenses envahies par l’humidité. Elle avait froid tout le jour, partout, au salon, aux repas, dans sa chambre. Elle avait froid jusqu’aux os, lui semblait-il. Son mari ne rentrait que pour dîner, car il chassait sans cesse, ou bien s’occupait des semences, des labours, de toutes les choses de la campagne.

Il rentrait joyeux et crotté, se frottait les mains, déclarait :

— Quel fichu temps !

Ou bien :

— C’est bon d’avoir du feu !

Ou parfois il demandait :

— Qu’est-ce qu’on dit aujourd’hui ? Est-on contente ?

Il était heureux, bien portant, sans désirs, ne rêvant pas autre chose que cette vie simple, saine et tranquille.

Vers décembre, quand les neiges arrivèrent, elle souffrit tellement de l’air glacé du château, du vieux château qui semblait s’être refroidi avec les siècles, comme font les humains avec les ans, qu’elle demanda, un soir, à son mari :

— Dis donc, Henry, tu devrais bien faire mettre ici un calorifère ; cela sécherait les murs. Je t’assure que je ne peux pas me réchauffer du matin au soir.

Il demeura d’abord interdit à cette idée extravagante d’installer un calorifère en son manoir. Il lui eût semblé plus naturel de servir ses chiens dans de la vaisselle plate. Puis il poussa, de toute la vigueur de sa poitrine, un rire énorme, en répétant :