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ŒUVRES POSTHUMES.

Son voisin ne paraissait point le remarquer. Il avait pris un journal et lisait. M. Saval le regardait de côté, brûlant du désir de lui parler.

Deux jeunes hommes entrèrent vêtus de vestes de velours rouge, et portant des barbes en pointe à la Henri III. Ils s’assirent en face de Romantin.

Le premier dit :

— C’est pour ce soir ?

Romantin lui serra la main :

— Je te crois, mon vieux, et tout le monde y sera. J’ai Bonnat, Guillemet, Gervex, Béraud, Hébert, Duez, Clairin, Jean-Paul Laurens ; ce sera une fête épatante. Et des femmes, tu verras ! Toutes les actrices sans exception, toutes celles qui n’ont rien à faire ce soir, bien entendu.

Le patron de l’établissement s’était approché.

— Vous la pendez souvent, cette crémaillère ?

Le peintre répondit :

— Je vous crois, tous les trois mois, à chaque terme.

M. Saval n’y tint plus et d’une voix hésitante :

— Je vous demande pardon de vous déranger, monsieur, mais j’ai entendu prononcer votre nom et je serais fort désireux de savoir si vous êtes bien M. Romantin dont j’ai tant admiré l’œuvre au dernier Salon.

L’artiste répondit :

— Lui-même, en personne, monsieur.

Le notaire alors fit un compliment bien tourné, prouvant qu’il avait des lettres.

Le peintre séduit répondit par des politesses. On causa. Romantin en revint à sa crémaillère, détaillant les magnificences de la fête.

M. Saval l’interrogea sur tous les hommes qu’il allait recevoir, ajoutant :