une contenance, un volume des poésies de Musset.
Et je me mis à parcourir Rolla.
Mon voisin me dit tout à coup, en bon français :
— Savez-vous l’allemand, monsieur ?
— Nullement, monsieur.
— Je le regrette. Puisque le hasard nous met côte à côte, je vous aurais prêté, je vous aurais fait voir une chose inestimable : ce livre que je tiens là.
— Qu’est-ce donc ?
— C’est un exemplaire de mon maître Schopenhauer, annoté de sa main. Toutes les marges, comme vous le voyez, sont couvertes de son écriture.
Je pris le livre avec respect et je contemplai ces formes incompréhensibles pour moi, mais qui révélaient l’immortelle pensée du plus grand saccageur de rêves qui ait passé sur la terre.
Et les vers de Musset éclatèrent dans ma mémoire :
Dors-tu content, Voltaire, et ton hideux sourire
Voltige-t-il encor sur tes os décharnés ?
Et je comparais involontairement le sarcasme enfantin, le sarcasme religieux de Voltaire à l’irrésistible ironie du philosophe allemand dont l’influence est désormais ineffaçable.
Qu’on proteste et qu’on se fâche, qu’on s’indigne ou qu’on s’exalte, Schopenhauer a marqué l’humanité du sceau de son dédain et de son désenchantement.
Jouisseur désabusé, il a renversé les croyances, les espoirs, les poésies, les chimères, détruit les aspirations, ravagé la confiance des âmes, tué l’amour, abattu le culte idéal de la femme, crevé les illusions des cœurs, accompli la plus gigantesque besogne de sceptique qui ait jamais été faite. Il a tout traversé de