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ŒUVRES POSTHUMES.

on parlait bas, on remuait doucement, presque sans bruit, dans la chambre de la femme.

Diable ! N’étais-je pas tombé dans un guet-apens ? Comment ne s’était-elle pas réveillée, cette Bluette, au bruit qu’avait fait son mari, aux coups qu’il avait frappés sur la porte ? N’était-ce pas un signal pour dire aux complices : « Il y a un pante dans la boîte. Je vas garder la sortie. Affaire à vous. » Certes, on s’agitait de plus en plus, on toucha la serrure ; on fit tourner la clef. Mon cœur battait. Je me reculai jusqu’au fond de l’appartement en me disant : « Allons, défendons-nous ! » et saisissant une chaise de bois à deux mains par le dossier, je me préparai à une lutte énergique.

La porte s’entr’ouvrit, une main parut qui la maintenait entre-bâillée, puis une tête, une tête d’homme coiffée d’un chapeau de feutre rond se glissa entre le battant et le mur, et je vis deux yeux qui me regardaient. Puis, si vite que je n’eus pas le temps de faire un mouvement de défense, l’individu, le malfaiteur présumé, un grand gars, nu-pieds, vêtu à la hâte, sans cravate, ses souliers à la main, un beau gars, ma foi, un demi-monsieur, bondit vers la sortie et disparut dans l’escalier.

Je me rassis, l’aventure devenait amusante. Et j’attendis le mari qui fut longtemps à trouver son vin. Je l’entendis enfin qui montait l’escalier et le bruit de ses pas me fit rire, d’un de ces rires solitaires qui sont si durs à comprimer.

Il entra, portant deux bouteilles, puis me demanda :

— Ma femme dort toujours. Vous ne l’avez pas entendue remuer ?

Je devinai l’oreille collée contre la porte, et je dis :

— Non, pas du tout.