Puis il repart. – Mais en son cœur surgit l’effroi
D’errer jusqu’à la mort, sans rencontrer personne,
Par la neige si vaste et sous un ciel si froid !
Il écoute. – Il entend une cloche qui sonne,
Et va vers le village à pas précipités.
Les paysans déjà causaient de porte en porte ;
Il leur crie en courant : « Venez tous, Elle est morte ! »
Il passe. – Il va frapper aux logis écartés,
Répétant : « Venez donc, venez, je l’ai tuée ! »
Alors une rumeur grandit, continuée
Jusqu’aux hameaux voisins. Et chacun, se levant
Et quittant sa maison, accompagne le pâtre.
Mais lui n’arrête pas sa course opiniâtre ;
Il marche. – Le troupeau des hommes le suivant
Déroule par les prés sans tache un ruban sombre.
Tout pays qu’on traverse augmente encor leur nombre ;
Ils vont, tumultueux, là-bas, vers la hauteur
Où les guide, essoufflé, leur sinistre pasteur !
Ils ont compris quelle est la femme assassinée,
Et ne demandent pas ni pourquoi ni comment
Le meurtre fut commis. Ils sentent vaguement
Planer sur cette mort comme une Destinée.
Elle avait la Beauté, lui la Ruse ; il fallait
Qu’un des deux succombât. Deux Puissances égales
Ne règnent pas toujours. Deux Idoles rivales
Ne se partagent point le ciel, et le Dieu laid
Ne pardonne jamais au Dieu beau.
Sur la cime
De la côte, et devant la hutte on s’arrêta.
Page:Maupassant, Des vers, 1908.djvu/179
Cette page n’a pas encore été corrigée