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ni baigné d’une lumière verte. Je me demande si j’aurai le courage d’y pénétrer. La rivière, tout de même, c’est le salut. Suivre son cours, c’est tôt ou tard arriver à un village, à la mer, vers la vie. Dans la forêt il n’y a rien, rien, aucun espoir si l’on se perd. Une fois parti, une fois pris par elle, l’abandon, la fatigue, le cafard, plus rien n’est permis. Il faut aller de l’avant ou crever.

En fait d’après-midi de repos, c’est un après-midi de cafard. Et moi qui me croyais fort ! Moi qui me flattais de mon moral. Quelle vaine superbe ! Il est beau le moral !… J’avais tout envisagé, sauf de le voir tomber.

Pourtant, je sais qu’il suffit de trouver sur ma piste un village indien, de me savoir aux Tumuc Humac, d’être à pied d’œuvre enfin, pour que ça aille mieux. Combien j’ai hâte d’arriver !

Je pensais que les coupes Hurault faciliteraient la marche, mais elles sont à 2 ou 3 mètres au-dessus de nos têtes. Les eaux sont trop basses.

Les Boschs arrivent de la pêche avec les pirogues pleines d’aimaras énormes. Ils semblent satisfaits de leur après-midi et aussitôt se mettent au travail. Le poisson est ouvert en deux, vidé, étalé, lacéré, baigné dans un jus de citron versé dans un creux de roche puis saupoudré de sel et enfin, étalé au soleil pour sécher. Ils travaillent avec dextérité, avares de paroles et de gestes.

Promenant de rocher en rocher, j’aperçois dans une vasque un caïman de petite taille somnolant paisiblement. Deux balles de long rifle, un coup de sabre… voilà le repas du soir qui va bon train, la queue découpée mijotant dans la casserole. Les Boschs ne mangent pas le caïman ; ils disent que sinon ils seraient mangés à leur tour.