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tout des pensées constantes que j’adresse à mes parents. Je songe à notre vie de tous les jours chez nous… maie ; des jours que, par ma volonté, j’ai rendu si rares… Tous les deux seuls, affreusement seuls, dans une angoisse de chaque instant, déjà âgés, d’une santé sujette à caution. Je souffre de leur souffrance comme si une volonté divine m’obligeait à la partager afin de la mieux comprendre.

S’abandonner à écrire longuement amène un bien être inouï. J’éprouve un certain plaisir à raisonner, à analyser mes sentiments car ainsi je recouvre ma lucidité et combats intérieurement le cafard en en recherchant les raisons. Je m’efforce de faire cette analyse aussi minutieuse que possible, m’imposant ce travail qui est en même temps une distraction et un apaisement. Je dissèque mes ennuis comme s’ils appartenaient à un autre.

Un Bosch est venu me regarder écrire puis il m’a offert de la tortue ; je refuse car mon estomac est serré.

Allongé dans le hamac, je balance tout doucement la couverture en guise d’oreiller. Je suis comme les Boschs, un calimbé à la ceinture. Mes pieds prennent de la corne mais une coupure provenant d’une roche suppure. Mes mains, quoique désenflées, sont encore sensibles par endroits ; ailleurs, elles ont des callosités rugueuses. Ma peau est jaune brun et elle est rêche ; mes cheveux repoussent tout doucement. Je sens la fumée et puis l’odeur aigre du ragoût de manioc et puis celle des Boschs suants.

J’écoutais le chant du coq tout à l’heure. Celui du premier village brésilien sera un Alleluia… Mais d’ici là ?