L’après-midi, sous un soleil éclatant, je rame ferme, chantant jusqu’à m’égosiller tous les refrains routiers de mon répertoire.
Malgré les main blessées et déjà suppurantes, mon coup de pagaie est plus ferme.
Les berges sont hautes, blanches, pourvues d’une végétation embroussaillée de dix mètres de hauteur dans laquelle on aperçoit quelques bananiers devenus sauvages, des manguiers, etc…, qui révèlent la présence d’anciens abatis et de vieux villages datant de la ruée vers la balata, il y a quinze ou vingt ans. L’Ouaqui fut autrefois fort peuplé ; aujourd’hui, plus rien ne subsiste. Le voyageur ne peut espérer aucune halte hospitalière ; tout au plus trouvera-t-il des vestiges de carbets, des vestiges de plantations. On a l’impression d’avancer au pays de la « Belle au bois dormant » Un pays mort !
Au coucher du soleil, un îlot m’offre asile pour la nuit. J’y dérange quelques caïmans lovés dans leurs trous et des nuées de chauves-souris — Riz, pêche sans succès — Tue un perroquet dont les entrailles me servent à appâter pour les piraïs et le reste à faire une soupe passable. — Peu de gibier sur la crique, du moins, jusqu’ici. — Par ailleurs, il est difficile de tirer lorsque l’on est seul à bord et que l’on navigue contre courant.
Avant d’épauler on est vite déporté et la carabine, quoique précise, exige une grande sûreté de visée car la balle ne s’éparpille pas comme le plomb !
Il pleut avec force toute la nuit ; je suis transi malgré ma couverture et, ne pouvant dormir, je fume sans arrêt l’âcre tabac en feuilles du pays, ayant épuisé ma provision de gris.