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de femmes-enfants, personne n’inscrit sur un registre le fruit de ces mises en ménage.

La femme est tabou, défense d’y toucher, sinon l’explication est rapide. Lorsqu’il y a deux hommes pour une femme — et il y en a plutôt cent — c’est un de trop. On ne demande jamais l’avis de la fille, c’est le plus fort qui l’emporte. Le poignard que tous portent à la ceinture règle très vite les différends, et les bougres s’en servent avec une redoutable maestria, comme du rasoir d’ailleurs, dont ils lacèrent le ventre de celui qui leur déplaît ou les bouscule dans le feu d’une danse, sans le moindre geste qui puisse les trahir, cependant que l’autre voit sa chemise, à la hauteur de l’estomac, se teinter de sang et découvre une large entaille dans sa chair. A quoi bon chercher le coupable ? On amène le blessé dehors, vite les danses reprennent, mais les regards soudain méfiants s’épient, les muscles sont tendus, prêts à la riposte. La bagarre peut éclater à tout instant.

De rares prostituées s’aventurent parfois dans le pays. Filles de joie déchues, trop laides ou trop usées par les grandes villes qui maintenant les rejettent comme des épaves sur la plage où frappe la marée. Avec tout le pauvre plaisir qu’elles peuvent encore donner de leur chair lasse, ce sont tout de même des femmes et on leur laisse à peine le temps de donner la syphilis à ceux qui ne l’avaient pas encore que déjà des hommes se battent pour les tirer de leur condition et en faire leur compagne d’aventures.

— Tu te souviens, Severiano, disait un homme au bar.

— Oui, répondit un autre.