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Alors, je sors et, poussé par l’insomnie, m’oriente dans le fouillis de cases sombres, filant vers la rivière figée comme un ruban de vieil argent. Il fait bon, à cette heure, regarder le Rio, respirer les odeurs fortes qu’exhale la jungle endormie et muette, luisante de milliards de lucioles dansantes, voir le ciel avec ses longues traînées d’étoiles. L’air est frais, mais les moustiques sont là aussi, à croire qu’ils ne dorment jamais et ont pour fonction essentielle d’empêcher le rêve, l’oubli et le sommeil.

Il est si simple d’enfourcher le cheval blanc de l’imagination et galoper éperdument au delà des horizons, toujours au delà… Mais ici, je crois que tout se borne à écraser les moustiques avec de grandes gifles et à rêver prosaïquement de femmes et de diamants.

Son estomac, on le bourre, pour étouffer la faim, on l’emplit de farine pailleuse et de viande racornie, mais les sens qui se révèlent avec une force insoupçonnée dans ce décor sauvage et paradisiaque, limitent les rêveries agréables à des visions de jupons troussés, que l’on s’adjuge de gré ou de force, parce que tout parle de force brutale et primitive, lorsqu’on ne possède pas l’argument qui convainc, celui auquel tout cède et que l’on ramasse avec le sable de la rivière qu’il parsème d’étoiles ; qui est bon au toucher, d’une rugosité si douce, d’une lourdeur émouvante et délicieuse au creux de la main qui lui sert d’écrin. L’or…

Tout parle d’amour, s’il est possible de qualifier ainsi les sentiments qui sont à l’origine de désirs irraisonnés, dans un pays sans femmes. Et lorsque, par miracle, le sort vous donne une femelle, comme il faut la garder avec