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Sur un banc de bois, un peu à l’écart du tumulte, un vieux prospecteur parle bas à un jeune métis qui a les cheveux très longs dans la nuque et des yeux de chatte. Je les vois se lever. Le plus jeune marche avec affectation et marque une gêne certaine, comme s’il craignait de recevoir un coup de pied dans les fesses.

Soudain quelqu’un jette, moqueur…

— Buenas noite… gracinha… passa bem[1].

Sous l’injure, le vieux prospecteur se retourne brusquement, la main sur la crosse de son arme. Personne ne bouge ; seul le métis file en douceur. Un grand silence se fait. Le prospecteur marche lentement, à reculons, puis disparait happé par les ténèbres extérieures. Je distingue vaguement sa silhouette accolée à celle du métis qui l’attendait.

Manoel me glisse dans l’oreille :

— Sabe senor… è una puta de veado.

On étouffe là-dedans. Je bois encore un peu pour me donner du courage et je me lève pour inviter une femme aux traits délicats et tristes qui est restée toute la soir6e assise près d’un homme affalé, la tête entre ses bras croisés sur la table. Manoel jure tout bas et me retient par le bras.

— Vous allez vous faire massacrer, murmure-t-il effrayé … l’homme est jaloux comme un tigre, restez ici ; regardez, mais, per dios, ne dansez pas. Malheur à l’étranger qui invite nos femmes, son meilleur ami alors ne le connaît plus, c’est un homme fini… qui ne pourra que fuir si on lui laisse le temps de seller son cheval.

  1. Bonne nuit, mignon…, amuse-toi bien.