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et lorsqu’on les coud ensemble avec des herbes, on peut faire des sacs pour mettre la viande sèche, des bourses à eau ou encore couvrir le toit des abris lorsqu’il pleut… Regarde cet autre dont les feuilles sont râpeuses, c’est un « licha » ; il sert à lustrer les jarres de glaise, les crosses de fusil ou à râper les callosités des pieds et de la main. Chaque jour, Pablo m’apprenait à mieux connaître la forêt, à la voir avec des yeux d’indigène, à l’aimer pour ses ressources, à la redouter pour ses colères et ses dangers, mais il m’apprenait aussi, comme s’il avait charge de factotum, à me méfier par principe des gens que j’allais être appelé à rencontrer, de tous les gens…

— Surtout, me disait-il, tire le premier, n’hésite pas, même si tu dois te tromper, sinon c’est l’autre qui te tuera sans remords !…

Et montrant d’un signe de tête les hommes qui nous accompagnaient, il cracha par terre avec mépris…

— « Sao bandidos vagabundos… cuidado com elis[1].

En fait de bandits, ils ressemblaient plutôt à de lugubres fêtards revenant d’un bal masqué. Une bouteille d’alcool hâtivement passée de mains en mains, dégouttait sur leurs gueules hirsutes et patibulaires. Ils suçaient avidement le goulot, juraient, puis replongeaient sous un tas de ponchons de laine grisâtre, hérissés de canons de carabines et de feutres délavés. Juchés ainsi sur le camion, ils formaient un amas de bottes uniformément maculées de boue gluante, de vêtements sans nom ravaudés au fil blanc avec de larges déchirures qui montraient une peau

  1. Ce sont du bandits vagabonds, attention à eux.