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la végétation barbare, comme une blessure dont les lèvres cherchent obstinément à se joindre et s’agrippent l’une à l’autre de toute la force bourgeonnante des pousses qui s’enlacent et forment une voûte prête à crouler sur la piste, comme pour mieux l’accaparer et en effacer à jamais la timide trace.

Dès le départ, passagers à la fortune du pot, six hommes s’accrochaient avec une belle fureur aux caisses composant la cargaison hétéroclite du camion, faisant corps avec elles, luttant pour résister aux cahots qui, à chaque instant, menaçaient de les précipiter par-dessus bord, guettant le sifflement rageur des branches tendues comme la corde d’un arc qui giflaient à la volée la carrosserie du camion, menaçant de décapiter le premier des six malheureux qui eût osé lever la tête pour reprendre haleine… j’étais avec eux !

Seul, je crois, de nous tous, Pablo dans sa cabine étroite s’amusait comme un fou, trouvant la chose drôle, fonçant un peu à l’aveuglette dans un brouillard glauque, secoué de bonds énormes qu’il ponctuait de hourras sauvages, l’âme héroïque, son âme de métis inculte et sans malice qui imaginait vaincre la grande forêt, terreur de ses ancêtres, et la réduire à sa merci, accroché à son volant comme les autres à leurs caisses.

— Voici Pablo, notre meilleur chauffeur, c’est lui qui, une fois par mois, à la bonne saison, assure la liaison avec Léopoldina, m’avait dit au départ de Goyana le chef du Service de Protection aux Indiens. Depuis notre départ de Goyana, Pablo s’efforçait de faire mon éducation de broussard. C’était un maître en la matière.