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rond et mâchonnent des herbes. Les chevaux n’ont même pas la force de brouter.

J’essaie de ratiociner. Rien à faire ; une sorte d’épouvante s’empare de moi d’un seul coup et je pense que ma peau est précieuse et puis je ne veux pas mourir dans un endroit pareil.

Manoel écrase de son talon nu un minuscule serpent corail[1] tout rouge avec des anneaux noirs, bouté hors de sa retraite par la sécheresse.

La forêt bruissante de feuilles est en émoi. Je l’entends se plaindre. C’est la grande sécheresse et la forêt hurle sa soif, comme nous hurlons la nôtre. Quarante-huit degrés à l’ombre.

Je me laisse aller à des souvenirs : première communion du cousin, baptême de la nièce… je pense aux verres perdus, je revois les bistros du Quartier Latin, les garçons à nœud papillon et les demis de bière moussant par-dessus les verres. Je chiale et je suce mes larmes, c’est drôle parce que je n’ai pas envie de pleurer.

Le reste se passe très vite. Pablo revient vers nous, il a la figure d’un homme qui vient de boire. Ses joues brillent…

— Agua, dit-il.

C’est un trou qu’il a creusé au poignard dans la terre sèche. Un trou dont le fond est bourré d’une mélasse blanche, humide avec un peu d’eau trouble qui surnage comme sur une flaque d’huile. J’en remplis mes mains,

  1. Serpent minute, très petit. Manoel l’écrase sans risque, car son pied corné est insensible aux crochets à venin du serpent trop faible.