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gnements, mais n’en continuent pas moins à me suivre. Une odeur forte stagne et imprègne mes vêtements, ma peau. C’est l’odeur indienne qui déjà flottait sur la rivière, faite de sueur, de crasse, de graisse rancie et des teintures végétales, « roucou » et « genipapo », qui sont à la base de la toilette de tout ce qu’une âme primitive peut imaginer pour plaire et séduire.

Sur une placette entourée de hautes herbes que je découvre accidentellement derrière le village, un vieil Indien, accroupi sur une natte, fume dans une pipe de terre des herbes dont la combustion dégage une odeur âcre. Près de lui quelques braises luisent faiblement, couvertes de cendres blanches comme la neige sous la lune qui répand une douce clarté déjà voilée aux approches de l’aube.

L’homme, avec un grognement de bienvenue, m’invite à prendre place près de lui sur la natte. Il me tend une calebasse pleine d’une boisson fade, mais très fraîche, que je bois avec un peu d’appréhension. En échange, je lui donne du tabac de ma blague, puis, à mon tour, je fume. Bans un mot nous sommes restés là, très longtemps, tous les deux. J’aurais voulu pénétrer le mystère des pensées de cet homme des bois ; près de lui, je me sentais heureux, tellement libre de toutes contingences. Parfois, lors qu’il retirait la pipe de sa bouche pour cracher un long jet de salive noire, il fixait ses yeux brillants sur moi, puis il grognnait doucement. Il était bien. Moi aussi. O vieil Indien, comme ce soir-là j’étais près de moi-même, comme soudain j’ai senti que ta sagesse profonde t’inspirait des pensées qu’il m’aurait été sacrilège de chercher à pénétrer.