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marque bleuâtre de deux cercles profondément gravés dans la chair. La lèvre inférieure est percée d’une palme de bois descendant jusqu’à la poitrine.

Je me surprends à recréer et associer ces images à d’autres que j’imaginais il y a longtemps. Et, ô caprice, je trouve cette reconstitution imparfaite. Mon subconscient se refuse à admettre les faits qu’enregistrent mes yeux.

Cette sensation de déjà vu qui soudain m’étreint avec âpreté a quelque chose d’obsédant et la soif d’analyse de mes sensations les plus intimes me force presque à crier tellement c’est douloureux.

Je ne découvre pas, comme j’aurais pu le faire dans un village Chavantes, la saveur enivrante du « défendu » ou de « l’impossible réalisé ». Tout est tellement pacifique qui’il me semble piétiner des sentiers battus et sans gloire. Les feux que nous avions aperçus tout à l’heure se précisent et jettent des lueurs sur les ramures qui cachent une petite crique aux eaux tranquilles. La barque est amarrée bord à bord avec les pirogues indiennes à une grosse branche couchée sur la rivière qui sert de ponton et nous permet de gagner la terre ferme, en l’occurrence une falaise abrupte creusée par une étroite corniche qui grimpe jusqu’à l’esplanade de terre battue où se pressent les huttes du village Karaja.

— Tatarian… tatarian… dit un vieil Indien au visage parchemin qui s’approche de nous, les bras étendus en signe de paix.

— Rarerim tatarian, répond Meirelles.