Page:Maufrais Aventures au Matto Grosso 1951.djvu/164

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est le laps de temps très court qui permet au boyadéros de tenter sans trop de risque la traversée du gué avec ses troupeaux.

— Les piranhas sont terribles, dis-je à Meirelles.

— Oui… surtout dans ces parages, il y en a énormément. Par contre certaines rivières sont délaissées par elles. Essayons de tuer un crocodile, vous allez voir le spectacle…

Nous prenons chacun une carabine calibre 44 et nous mettons en devoir de tirer le premier saurien qui montrera son bout de museau.

J’en aperçois un, quelques instants plus tard. Le plomb de ma Winchester frappe dans l’eau sans le toucher, Meirelles tire avec moi, les balles pleuvent à quelques centimètres de la gueule du saurien qui, nullement effrayé, se laisse aller, bientôt tout le bord fait feu. Finalement un coup fait mouche. Vision rapide d’un ventre blanc qui se retourne, d’une queue dentelée qui bat l’air, le limon jaune du fleuve se teinte d’une plaque moirée et un bouillonnement précipité soudain hérisse le vernissé du courant.

La queue se dresse encore, elle fouette désespérément le vide, déjà il n’y a plus de sang, mais dans les profondeurs de la rivière, un drame se joue. Les piranhas sont à l’œuvre.

— Lorsque les eaux sont claires, me dit Meirelles, le spectacle de la lutte du crocodile blessé avec les poissons tigres qui le harcèlent a quelque chose d’émouvant.

Grisés par le sang qui jaillit avec force, les poissons tigres rongent la chair mise à vif, agrandissent la brèche