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grisâtre avec une superbe paire de moustaches au bout d’un museau très fin. L’animal surpris plonge dans la rivière et disparaît…

— C’était un « capivara », soupire Meirelles piteux, voilà notre rôti qui fout le camp…

Pablo, allongé sur l’étroite banquette qui borde intérieurement la lisse, somnole dans une pose abandonnée.

Son bras tombe. Sa main traîne sur l’eau. Soudain il pousse un hurlement. Je le vois bondir et se tordre, s’affaler dans la barque avec de faibles gémissements, la main dégouttante de sang, l’index à moitié dévoré.

— « Piranhas ! »[1] crient les hommes avec terreur.

Le doigt de Pablo pend lamentablement. Lorsque Meirelles l’introduit de force dans le goulot de la bouteille d’alcool à 95°, toute la barque en trépigne.

Communément appelés poissons-tigres, les piranhas sont gros comme la paume d’une main d’adulte avec de belles écailles rouges, dorées ou noires. Leur denture est remarquable, leur férocité proverbiale. Pour avoir un léger aperçu du « travail » des poissons-tigre, il suffira peut-être de vous dire que, lorsque les conducteurs de troupeaux (les « boyadéros » ) veulent passer une rivière infestée de piranhas, ils saignent un bœuf et l’abandonnent dans l’eau à deux cents mètres du gué qu’ils doivent emprunter.

Attirés par le sang, les poissons-tigres toujours en chasse accourent par milliers et voracement — en trois minutes exactement — dévorent le bœuf, ne laissant sur le sable de la rivière qu’un squelette parfaitement nettoyé.

  1. Poisson-tigre.