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Quant à moi, je suis un peu nerveux, mais je m’excuse moi-même de cette nervosité, car je suis très satisfait de mon humble personne. Je me sens l’âme héroïque, je suis l’auteur, l’acteur, et mon propre spectateur et puis, que voulez-vous, si je ne suis pas né le jour de la St-Modeste, sans être non plus le type du « monsieur moi-même », je donnerais assez cher pour être vu de quelques personnes qui, dès ma naissance, plaignirent ma digne mère d’avoir enfanté un rejeton du diable. J’étais fou, disait-t-on.

Avouez que ce n’était guère flatteur pour mon père. A force de m’entendre corner la chose dans les oreilles, je pris plaisir à confirmer ces ragots scandalisés et après avoir crié « mort aux bourgeois », farouchement, pendant plus de quinze ans, aujourd’hui, c’est mon jour de gloire.

Bottes, pantalon de cheval, chemise à carreaux, chapeau de feutre, foulard à pois vert autour du cou, le revolver sur la cuisse, pouvoir se promener ainsi accoutré sans être ridicule, s’asseoir dans une taverne et lire sur la cloison « Prière de ne pas tirer sur les bouteilles » sans s’étonner, voir des gens se couper la gorge sans crier au meurtre, et bien, je vous assure, ça vous fait homme.

— Prêt, Français ?…

— Prêt.

— Allons… atè a volta se deuo quiser…

Deux pirogues, douze hommes, dix chevaux, deux mulets vont affronter un itinéraire qui prévoit mille huit cents kilomètres de rivières plus neuf cents kilomètres de pampas désertiques et de forêts vierges.

Nous quittons Leopoldina avec un quelque chose pas très drôle dans le larynx. Sur la berge, toute la population