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tide : une eau lourde de détritus, grouillante de reptiles qui strient la vase comme des flèches.

Je suis descendu de cheval et j’avance derrière Roxa, déjà transformé en charbonnier, mon cœur seul battant dans le silence lourd qui plane. Tout est noir, d’un deuil sinistre. La masse toute proche de la forêt vibrante de sève contraste violemment avec la vision de ce cimetière forestier qui, au crépuscule, évoque avec ses grands arbres foudroyés les ruines d’une cathédrale.

L’arceau des branches calcinées, les colonnades frêles et torsadées des lianes vivaces qui sortent de la pourriture ou tombent du ciel pour étreindre ces morts, les soutenir et les ranimer…

Les lourds piliers des baobabs, les dalles noires et bitumeuses de l’eau stagnante…

Le voyageur somnolant sur sa monture et débouchant de la forêt verdoyante imaginerait apercevoir sous un ciel implacablement azuré la forêt pétrifiée des génies de son enfance.

Seuls, minuscules dans ce cataclysme, torse nu, deux hommes travaillant à la hache élaguent les troncs et dégagent les racines, s’acharnant à une besogne dont je ne comprends guère l’utilité. Le fer sonne creux sur le bois, comme la frappe d’un glas.

— Oui, je sais, dit Roxa… quand on n’est pas habitué, ça fait quelque chose de voir la forêt dans cet état-là. Nous l’avons incendiée il y a quelques semaines pour mieux défricher, nous attendons du matériel mécanique… ça fait deux ans qu’on nous le promet. Et pour l’instant, les hommes essaient de faire de leur mieux. Là nous