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LE CLUB DES COBDELIERS

Le cher disciple Fréron entendit l’appel de son maître Marat. Il fit l’éloge de ces sociétés «où les citoyens s’instruisent de leurs droits, de leurs intérêts et de leurs devoirs.» La rage qu’elles excitèrent chez les ennemis de la Révolution ne prouvait que trop leur utilité. En poussant à leur création, Marat avait rendu un service immense à la Révolution, Il était le père des sociétés fraternelles. Marat, dont la modestie n’était pas le péché mignon, accepta cette paternité et s’en montra très fier[1].

Les amis de Madame Roland ne pensaient pas alors autrement que Marat et que Fréron[2]. Ainsi Lanthenas écrivait à Bosc, de Lyon, le 22 janvier 1791 : «Formez une société de lecteurs pour le peuple, ayez un bâtiment convenable et vous verrez le bien que vous ferez[3]». Plus tard, Lanthenas échafaudera sur l’éducation civique des adultes tout un système philosophico-politique[4].

Il est certain que les sociétés fraternelles réalisèrent en grande partie les espérances que leurs fondateurs avaient mises sur elles. C’est par les sociétés fraternelles que s’est faite l’éducation politique des masses, par elles que les grands chefs transmirent leurs mots d’ordre, par elles que furent levés et embrigadés les gros bataillons populaires, les jours de manifestation ou d’émeute. Sans elles, la Révolution eût pris un autre cours. Elle serait restée plus monarchique et plus bourgeoise, ou tout au moins plus longtemps. Ces sociétés furent le berceau et l’asile de la sans-culotterie. Elles ont été la République en action, dès la monarchie.

Si les patriotes de toutes les nuances coopérèrent à la formation des sociétés fraternelles, il paraît cependant résulter des documents que ceux qui deviendront plus tard les Montagnards et parmi eux particulièrement les Cordeliers exercèrent sur elles dès le début une action prépondérante.

  1. Cf. ma note sur «Marat père des sociétés fraternelles» dans les Annales révolutionnaires, t. I, p. 660-664.
  2. Il ne faut pas oublier que Madame Roland fut longtemps une admiratrice enthousiaste de Marat. (Cf. sa lettre du 22 juin 1790, éd. Perroud, t. II, p. 97), et son mari également (Perroud, II, p. 54, note).
  3. Lettres de Mme Roland, éd. Perroud, t. II, p. 220.
  4. J’ai exposé les idées de Lanthenas dans mes Origines des cultes révolutionnaires. Paris, Cornély, 1904, p. 104 et suiv.