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LES CORDELIERS AVANT VARENNES

rendre des services. Mais, ni le très médiocre journaliste qu’était Labenette, ni l’équivoque professeur qu’était Rotondo n’étaient de taille à mener le club. S’ils ont exercé une action, elle reste obscure, insaisissable.

Rutledge, dont l’influence ne fut pas négligeable, était-il un agent du duc ? Peut-être. Mais le personnage, qui mériterait une étude particulière, n’est pas encore suffisamment connu pour qu’on puisse se prononcer.

Les fayettistes affectaient volontiers de considérer Marat comme un agent orléaniste et il est indéniable que l’Ami du peuple jouissait aux Cordeliers dès cette époque d’une réelle influence. Sans doute, Marat protesta très vivement contre la procédure du Châtelet sur les journées des 5 et 6 octobre 1789, mais il protesta avec tout le parti patriote et notamment avec Bonneville, qui était un adversaire résolu du duc d’Orléans. Dans le numéro même où Marat élève cette protestation, il jette dédaigneusement au duc l’épithète de « prince sans caractère[1]». Les fayettistes pouvaient relever le numéro où Marat dénonce la «noire trame des ennemis de la Révolution contre Louis-Philippe d’Orléans» pour empêcher ce dernier de revenir d’Angleterre et d’assister à la Fédération, mais Marat veut surtout dans cet article faire pièce à Lafayette[2]. D’ailleurs, il s’est expliqué nettement dans son numéro du 10 août 1790 : «L. Ph. Joseph d’Orléans, dit-il, a de l’esprit et de l’amabilité, je le sais, mais il y a loin de là au civisme… Non, je ne me persuaderai jamais qu’un homme né prince du sang puisse devenir patriote». Avouons qu’il faut beaucoup de bonne volonté pour découvrir en Marat un agent orléaniste.

III

Les Cordeliers ne commencèrent à jouer un rôle important qu’au moment où ils eurent derrière eux ou à côté d’eux les sociétés fraternelles. Par leur recrutement démocratique,

  1. N" du 20 mai 1790.
  2. N° du 10 juillet 1790.