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— J’en ai tant vu mourir en Afrique que cela ne me fait plus grand’chose ; ils meurent d’ailleurs doucement, épuisés, comme des vieillards ; et puis, presque tous sont des « risque-tout » comme vous et moi.

Mais ce que me racontait le malheureux homme était vraiment trop triste.

Aussi, je n’ai pas de honte à dire que moi, Coupal, j’avais également des larmes aux yeux…

Toutefois, il ne fallait pas le laisser s’exalter davantage, cela ne lui valait rien dans son état.

Et bien que je n’eusse pas le cœur à la fête, je vous l’assure, je m’efforçai à le faire rire.

Et peu à peu, j’y parvins et je parvins aussi à lui faire boire le bon whisky-soda qui coulait sur ses doigts de malade qui tremblaient.

Et, toute la nuit, nous avons causé, ri et bu.

Nous avons même fait danser les porteurs à la lune. Lui tapait sur le tambour, moi sur le Goudou-Goudou, vous savez, le gros tronçon d’arbre évidé par une seule fente et qui sonne comme une cloche.

Comme je revois, évoquée par Coupal, une scène dont l’étrange beauté ne m’a jamais lassé : la ronde sauvage autour des grands feux rouges, les rythmiques mouvements des torses sombres et nus, les gestes d’offrande de paumes tendues, et parfois aussi de corps brusquement secoués en simulacre de l’acte d’amour, tandis qu’à la lueur dansante des torches d’herbes sèches les silhouettes de suie se muent en laiton et que les troncs clairs de la forêt voisine jaillissent de l’obscurité pour y rentrer encore.