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MA COUSINE MANDINE

promis solennellement de répondre régulièrement à toutes mes lettres, elle avait immanquablement tenu cette promesse en m’envoyant d’abord une longue et charmante missive, en réponse à la mienne expédiée le jour même de mon arrivée à Ottawa, retour de mes vacances à M… puis ensuite une petite note bien courte, suivie, peu de temps après, par le silence le plus éloquent du monde.

À mes reproches l’année suivante, quand je revenais à M… elle disait simplement, en faisant une moue charmante : « écrire… c’est si fatigant !… »

Mandine vit mon sourire et baissa la tête, confuse. Ne voulant pas la gronder en ce moment où elle avait déjà assez de peine, je lui dis :

— Promets au moins de m’écrire si tu as besoin de moi, s’il t’arrive quelque chose de désagréable durant mon absence.

— Je te le promets !…

Elle s’arrêta tout-à-coup, songeuse.

— Ça n’a pas l’air bien généreux, ni bien désintéressé de ma part, hein ?… dit-elle avec un rire espiègle.

— C’est un peu égoïste, en effet, répondis-je en riant aussi. Cependant, c’est promis ?

— C’est promis !

Puis, changeant tout à coup de ton :

— Tu pars la semaine prochaine, dit-elle, quel jour ?

— Il est possible que je parte samedi de cette semaine. J’attends une lettre à ce sujet.

— C’est aujourd’hui jeudi… Tu reviendras me voir avant ton départ ?

— Sans doute.

— Bon. Alors, au revoir, mon cousin !

— Au revoir, ma cousine.

Elle me tendit encore la main, que je pris et que je tirai doucement vers moi sans éprouver de résistance, et son joli front se trouvant à portée de mes lèvres, je les y appuyai légèrement, les laissant peu à peu glisser vers sa bouche, où elles s’arrêtèrent chastement et… plus longuement.

* * *

Le soir du même jour je recevais une dépêche me demandant d’être à Toronto, le lendemain. Quand j’allai chez Mandine le vendredi matin, sa porte était close.

Je me rendis chez les Dubois, pour leur dire que je partais dans l’après-midi, et je leur remis un billet pour ma cousine avec prière de le lui remettre. Je partis sans la revoir.


XXI


Mon séjour à Toronto fut rempli de travail et d’occupation, et j’eus à laisser de côté tout ce qui ne touchait pas à mes études pour les examens prochains.

J’écrivis cependant à Mandine en arrivant et je reçus une longue lettre en réponse… quatre jours plus tard.

Elle avait fait les premières démarches pour se faire nommer en remplacement de son mari. Ces démarches consistaient à la rédaction et l’envoi de trois lettres, une au député de la ville, une autre au ministre, la troisième au sous-ministre du Département qui l’intéressait. Dans deux cas elle avait reçu un accusé de réception, où on l’assurait que sa requête « recevrait considération ». En réponse à sa troisième lettre, le ministre, Sir Edgar, lui « accordait » une entrevue à son bureau le lundi suivant, à dix heures du matin.

Elle avait revu Lomer-Jackson, qui avait été très sympathique à l’occasion de son deuil récent, mais qui n’avait pu rien promettre de positif ni de tangible en ce qui concernait une position au ministère. Certainement, il s’occuperait de son cas et lui apporterait le résultat de ses démarches plus tard. Il regrettait surtout l’absence de Mandine dans les tournées de concerts, où elle était difficile à remplacer. La tournée de concerts continuerait cependant, car on avait pris des engagements qu’il fallait remplir.

Mandine m’écrirait de nouveau, aussitôt qu’elle aurait vu le ministre au sujet de son emploi.

Le ton de sa lettre était gai et plein de confiance en l’avenir. Je lui répondis un peu sur le même ton, car je tenais à l’encourager, craignant que les déboires et les désillusions ne tarderaient pas à surgir pour la mettre face à face avec la réalité. Avant longtemps, peut-être, elle comprendrait la vanité de ces amitiés nées d’un jour, qu’un plaisir commun, un but identique, faisaient paraître solides et durables, mais que le moindre contretemps, le plus léger accident, faisaient disparaître à jamais.

Puis, je pensais à ce Lomer-Jackson, pour qui j’avais ressenti de l’antipathie dès notre première rencontre, et en qui je regrettais de voir ma cousine reposer tant de confiance et de foi.

Le jour arriverait sans doute où cette amitié serait mise à l’épreuve et, dans le fond de mon cœur, j’avais hâte à ce jour, étant sûr et certain du résultat.

Un secret pressentiment m’avertissait que l’épreuve serait désagréable à Mandine et qu’elle verrait enfin, sous son vrai jour, cet étranger, cet « importé », que son imagination romanesque transformait en héros, en chevalier sans peur et sans reproche.

Puis, je ne voyais pas d’un bon œil les démarches de ma cousine auprès de Sir Edgar, dont j’avais entendu parler d’une manière peu flatteuse pour un homme d’État, et peu rassurante pour une femme sans protection. J’appréhendais pour elle certaines humiliations qui pourraient peut-être la jeter dans un profond découragement ou un immense dégoût.

Certes, je ne souhaitais pas que mes prévisions se réalisassent de point en point, mais je ne pouvais m’empêcher de désirer un dénouement quelconque le plus tôt possible.

La seconde lettre que je reçus de Mandine était bien différente de la première. Son entrevue avec Sir Edgar, relativement à sa position au ministère, n’avait pas eu de résultat satisfaisant. Elle avait été bien reçue, mais… l’emploi des femmes dans le service civil, surtout dans les bureaux, n’était pas populaire. Un autre travail, en dehors des bureaux, serait plus facile à donner et plus selon les règles de l’administration. Rien ne lui avait été offert de positif, et elle devait revenir dans quelques jours.

La protection de Lomer-Jackson n’avait pas eu encore grand résultat non plus. Le fait est