Page:Mathé - Ma cousine Mandine, 1923.djvu/37

Cette page a été validée par deux contributeurs.
35
MA COUSINE MANDINE

vre cœur qui avait besoin d’affection et de sympathie.

En quittant ma cousine pour aller enterrer son mari, j’eus à lui promettre que je reviendrais la voir dès mon retour. Elle était lasse et subitement dépourvue d’énergie. Elle se réfugiait maintenant dans notre affection, et était comme une enfant qui se voit brusquement abandonnée parmi des étrangers. C’était surtout à moi que s’adressaient ses plaintes, ses regrets et ses larmes. Elle ne parlait plus du tout de ses amis de date récente, et cela, tout en m’étonnant un peu, me rendait heureux.

* * *

À mon retour de X… je trouvai ma cousine plus calme et, en apparence, plus résignée. Après lui avoir raconté en détail ce qui s’était passé au village de X… et qu’elle eut écouté mon récit avec une profonde attention, sans cesser de pleurer silencieusement, je lui demandai si elle avait arrêté un plan de conduite quelconque. Retournerait-elle chez ses parents à M… ?

Non, elle ne voulait pas retourner à la maison qu’elle avait quittée un jour de folie. D’ailleurs, elle s’y ennuierait trop.

— Alors, lui demandai-je, que vas-tu faire à Ottawa ?

— Je ne sais pas trop encore, répondit-elle. Madame Dubois me conseille de demander un emploi dans le Gouvernement. Il paraît que les veuves des anciens employés sont protégées et que souvent elles remplacent leur mari défunt.

— Ceci est assez problématique, dis-je. Cependant, tu peux réussir. Alors, tu serais satisfaite de vivre une vie de bureaucrate, en admettant qu’on te donnât la position qu’occupait ton mari ?

— Oui, pour maintenant. Plus tard, je ne sais pas. Avec ma musique et ma voix… peut-être que… Je ne sais si je me ferai à la vie de bureau, mais je vais toujours essayer.

— Puis-je faire quelque chose en attendant ? As-tu besoin d’argent ? lui demandai-je, en hésitant un peu.

— Non, j’en ai encore suffisamment pour le présent. Puis notre société de concerts me doit une assez forte somme que je vais réclamer.

— Tu ne vas pas continuer ces tournées de concert, naturellement ?

— Non pas d’ici longtemps. Cependant, ces gens-là sont de bons amis et ils peuvent m’aider…

— À moins qu’ils ne t’oublient complètement, maintenant que tu es dans le deuil.

— Je ne crois pas cela. Ce sont des gentlemen !

— Sans doute. Surtout ce monsieur Jackson, n’est-ce pas ?

— Celui-là surtout, et même je compte sur lui pour m’aider à avoir la position de Jules au Ministère.

— Ah ! Est-ce que tu lui en as déjà parlé ?

— Non. Je ne l’ai pas vu depuis que nous sommes revenus de Brockville. Il devait rejoindre l’organisation des concerts le lendemain et probablement que la société n’est pas encore de retour à Ottawa.

— Et tu vas lui demander son aide ?

— Sans doute. Il a beaucoup d’influence auprès des Ministres. Il est en contact journalier avec tous les officiers supérieurs des différents ministères, et je n’ai pas le moindre doute qu’il réussira à me caser.

— S’il s’en donne la peine, naturellement.

— Il s’en donnera la peine !

— Je le souhaite de tout mon cœur, ma chère cousine, et si ce monsieur Jackson réussissait à te sortir de l’embarrassante situation où tu te trouves actuellement, en te faisant nommer à une position honorable et permanente, mes sentiments à son endroit changeraient énormément. Dans tous les cas, si tes espérances sont déçues plus tard, j’espère que tu m’en avertiras afin que, de mon côté, je fasse mon possible pour t’aider. Tu sais que tu peux compter sur moi en tout temps ?

— Oui, mon cher Paul, et je te remercie du fond du cœur pour ce que tu as fait et pour ce que tu es prêt à faire pour m’aider. Je te tiendrai au courant.

Et ma cousine, d’un geste spontané, me tendit sa jolie main, que je portai à mes lèvres d’un geste tout aussi spontané que le sien. Elle rougit légèrement, mais ne retira pas sa main trop vite de ma bouche.

— D’ailleurs, continua-t-elle, je te verrai souvent, tous les jours, n’est-ce pas, d’ici à ce que je sois casée ?

— Pas pour longtemps, ma cousine, car je pars la semaine prochaine pour Toronto, où je passerai cinq ou six semaines, peut-être deux mois, afin de me préparer pour les examens du droit, qui auront lieu au cours de l’hiver prochain, et d’où j’espère bien revenir avocat à tous crins ! Puis, il faut que je perfectionne mon anglais, que j’écris bien mais que je parle comme un chinois !

— Ça, c’est ennuyant, par exemple ! fit ma cousine avec dépit. Je comptais tant sur toi pour me conseiller et… m’aider !…

— Mais, tu as le monsieur Jackson… Il doit bien te suffire ?

— « Silly » !… dit-elle, usant d’une de ces expressions anglaises dont elle était coutumière depuis quelques mois et qui parsemaient sa conversation lorsqu’elle était émue ou agitée. Tu sais bien ce que je veux dire. C’est ta présence qui m’est nécessaire. Il me semble que ton absence va me laisser sans protection… sans une vraie et sincère amitié !…

Son visage s’était assombri en disant ces dernières paroles, et mon cœur se serra à l’idée qu’un secret pressentiment l’avertissait d’ennuis ou de dangers futurs.

Se remettant bientôt, cependant, elle ajouta :

— Tu m’écriras souvent, n’est-ce pas, quand tu seras là-bas ?

— Mais, oui, certainement, ma chère Mandine. Je t’écrirai si tu veux promettre de répondre à quelques-unes de mes lettres…

— Je t’écrirai aussi souvent que toi !… quoique je n’aime pas beaucoup correspondre, c’est si fatigant !…

Je ne pus m’empêcher de sourire en entendant ce mot « fatigant ». Car je le connaissais bien, ce mot. Elle s’en était toujours servi pour s’excuser lorsque, dans le passé, alors qu’elle était encore à M… et qu’après avoir