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liberté, pris dans une signification commune. Il n’en est pas ainsi lorsqu’on applique ce mot de liberté à la volonté. Que seroit-ce alors que la liberté? Ou ne pourroit entendre, par ce mot. que le pouvoir libre de vouloir ou de ne pas vouloir une chose; mais ce pouvoir supposeroit qu’il peut y avoir des volontés sans motifs et par conséquent des effets sans cause. Il faudroit donc que nous pussions également nous vouloir du bien et du mal; supposition absolument impossible... En ce sens, on ne peut donc attacher aucune idée nette à ce mot de liberté K.. On ne peut donc se former aucune idée de ce mot liberté, appliqué à la volonté; il faut... convenir... (]u’un traité philosophique de la liberté ne seroit qu’un traité des effets sans cause ».

EMILE, III, 101 : « Rentrons en nous-mêmes, ù mon jeune ami! examinons, tout intérêt personnel à part, à quoi nos penchans nous portent. Quel spectacle nous flatte le plus, celui des tourmens ou du bonlieiir d’aulrui?... 7ou/ nous est indifférent, disent-ils, hors notre intérêt; et tout au contraire, les douceurs de l’amitié, de l’humanité nous consolent dans nos peines; et, même dans nos plaisirs, nous serions trop seuls, trop misérables, si nous n’avions avec qui les partager ».

De l’Esprit, 47-8 (II, i) : « On peut ranger les idées, ainsi que les actions, sous trois classes dififérentes. Les idées utiles... Les idées nuisibles... Les idées indifférentes...; de pareilles idées n’ont presque point d’existence, et ne peuvent, pour ainsi dire, porter qu’un instant le nom dindiflérentes; leur durée ou leur succession, qui les rend ennuyeuses, les fait bientôt rentrer dans la classe des idées nuisibles... Je prouverai qu’en tout temps, en tout lieu, tant en matière de morale qu’en matière d’esprit, c’est l’intérêt personnel qui dicte le jugement des particuliers et l’intérêt général qui dicte celui des nations... je considérerai la probité et l’esprit à différents égards,... et prenant toujours l’expérience pour guide dans mes recherches, je montrerai que sous chacun de ces points de vue, l’intérêt est l’unique juge de la probité et de l'esprit ».

Émile, III, 109-110 : « Chacun, dit-on, concourt au bien public pour son intérêt; mais d’où vient donc que le juste y concourt à son préjudice ? Qu’est-ce qu’aller à la mort pour son intérêt ? Sans doute nul n’agit que pour son bien; mais s’il n’est un bien moral dont il faut tenir compte, on n’expliquera jamais par l’intérêt propre que les actions des méchans... Ce seroit une trop abominable philosophie que celle ofi l’on seroit embarrassé des actions vertueuses, où l’on ne pourroit

1. Rousseau avait déjà fait illusion à ce mot d’Heivelius dans la Lettre Vil de la Vl" l\irli(j de La Nouvelle Héloïse (V, 33-4) : •• J’entends beaucoup raisonner contre la lilurlé de l’homine, et je méprise tous ces sophismes, parce qu’un raisonneur a beau me prouver que je ne suis pas libre, le sentiment intérieur, plus fort que tous ces urgumens, les dément saus cesse... A entendre ces gens-là,... ce mot de liberté n’auroit aucun sens ».