Page:Masson - Alfred de Vigny, 1908.djvu/72

Cette page n’a pas encore été corrigée

64 ALFRED DE VIGNY « langue céleste que rien, ici-bas, ne nous fait deviner, si ce n’est l’amour et la prière (i) ;^. Pour lui, écrire sa pensée était une douleur et un abaissement, parce que l’écrire c’était la matérialiser, et en quelque façon l’agir. « Le penseur, affirmait-il, est bien supérieur à l’homme d’action en ce qu’il vit dans ses idées, règne par les idées, les présente toutes nues, pures des souillures de la vie, et ne leur devant rien (2). » Mais un tel penseur est le penseur muet ; et, pour jouer avec les Idées, sans jouer avec les actions, il faut jouer silen- cieusement ; toute parole, toute écriture est une action ; c’est aussi, et plus encore, un compromis avec l’odieuse matière : le musi- cien qui essaie de traduire sur sa flûte la mé- lodie imprécise qui flotte en lui, rencontre la résistance de l’instrument. L’àme éprouve une fois de plus « l’indigence » du corps, son compagnon (3), et retrouve avec irritation (i) Lettre à Miss Hamilton, du 24 juin 1839, Correspon- dance, p. 81. (2) Le More de Venise, Lettre à lord *** du i" novembre 1829, Théâtre, II, p. 77. (3) La Flûte, Poésies, p. 23o.