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LA VIE À LONGWOOD

grave que celle des Briars. Aux Briars, Napoléon pouvait se considérer comme un voyageur gardant l’incognito. Il campait, littéralement. Il n’avait près de lui que Las Cases qui ne lui demandait que de parler et qui l’écoutait avidement. Point d’étiquette, en une chambre, la même pour manger, travailler et dormir. S’il y avait des plaintes formées par ceux de la suite qui restaient à la ville, elles s’évanouissaient avec eux et ne traçaient point.

Tout autre la vie à Longwood. C’est l’installation définitive : c’est ici que Napoléon Buonaparte sera reclus jusqu’à ce qu’il meure : ce mot prison perpétuelle abolit tout espoir. Tout rêve de liberté se perd sur l’immensité des mers qui, bien autrement que des murailles, cernent l’horizon. Ce n’est point pourtant que les illusions auront péri : chacun, pour flatter le maître, s’efforcera d’en créer et d’en entretenir ; elles naîtront chaque matin pour disparaître chaque soir, ne laissant que l’amertume de la déception, et l’on n’en continuera pas moins, sitôt qu’un navire arrivera d’Europe, à recueillir ou à imaginer des nouvelles qui semblent des contes de nourrice, tant elles sont invraisemblables et suspectes. Toutes vont naturellement à la délivrance prochaine, à un changement de ministère ou de gouvernement, à une révolution en France, à la venue d’un navire libérateur : et, à chaque fois que les illusions s’effacent, la prison se fait plus étroite.