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NAPOLÉON À SAINTE-HÉLÈNE

fût le plus abondant et le plus luxueux possible, et présenté par quantité de domestiques civils. L’amiral s’efforçait à faire les honneurs ; il abrégea le repas que l’Empereur trouvait trop long ; il ne se formalisa point qu’il quittât la table à son temps, et lorsqu’il se levait, tous les convives se tenaient debout jusqu’à ce qu’il fût sorti de la chambre. Aussi, l’Empereur s’était-il familiarisé jusqu’à jouer avec lui au Vingt et un. Tout ce qui était sur le vaisseau, du dernier des élèves de marine au colonel du 53e, Sir George Bingham, lui témoignait un respect et une déférence qui s’attestaient par des gestes, des actes, l’attitude générale. L’amiral venait, au sortir du dîner, se présenter à l’Empereur, l’avertir de l’humidité, et, si l’Empereur prenait son bras et prolongeait la conversation, il en paraissait très honoré. Ainsi, ses préjugés s’étaient dissipés ; devant le Grand Soldat, ces soldats avaient compris à qui ils avaient affaire ; tout ennemis qu’ils étaient, ils avaient admiré et ils avaient plaint celui que la fortune n’avait tant élevé que pour le précipiter de plus haut ; ils avaient cédé à l’attrait de son génie, à cette séduction qu’il exerçait sur quiconque l’approchait et qui mettait l’éclair froid de ses yeux gris au service de la grâce irrésistible de sa bouche souriante. Ils avaient vu comme il était simple en ses mœurs et ses habitudes, sobre, sans exigences et sans besoins, et ils avaient pris pour lui cette forme d’admiration qu’inspire à tout homme qui