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qu’autant que la piété trouve des partisans favorables ; il ne se fait honneur de la vertu que dans les lieux où la vertu l’honore. Et voilà l’esprit qui nous régit et qui nous gouverne ; un esprit de timidité et de complaisance : on craint d’être à Dieu, et, dans toutes les occasions où il s’agit de se déclarer pour lui, on mollit et on se ménage ; et dès qu’il faut s’exposer pour sa gloire à la dérision et à la censure des hommes, on recule, et on se fait de sa lâcheté une fausse prudence ; et dès qu’il est question de déplaire pour ne pas manquer au devoir, on en croit la transgression légitime ; et la première chose qu’on examine dans les démarches que Dieu demande de nous, c’est si le monde y donnera son suffrage ; et pour ne pas perdre l’estime du monde, on paraît encore mondain, on parle son langage, on applaudit à ses maximes, on s’assujettit à ses usages ; et pour éviter même d’être ennuyeux, on entre dans ses plaisirs : on est de ses dissipations, on participe peut-être à ses crimes.

(Mystères.)



ORAISON FUNÈBRE DE LOUIS LE GRAND.


Dieu seul est grand[1], mes frères, et dans ces derniers moments surtout, où il préside à la mort des rois de la terre : plus leur gloire et leur puissance ont éclaté, plus, en s’évanouissant alors, elles rendent hommage à sa grandeur suprême : Dieu paraît tout ce qu’il est, et l’homme n’est plus rien de tout ce qu’il croyait être.

Heureux le prince dont le cœur ne s’est point élevé au milieu de ses prospérités et de sa gloire ; qui, semblable à Salomon, n’a pas attendu que toute sa grandeur expirât avec lui au lit de la mort, pour avouer qu’elle n’était que vanité et affliction d’es-

  1. Représentons-nous Massillon dans la chaire, prêt à faire l’oraison funèbre de Louis XIV, jetant d’abord les yeux autour de lui, les fixant quelque temps sur cette pompe lugubre et imposante qui suit les rois jusque dans ces asiles de mort, où il n’y a que des cercueils et des cendres, les baissant ensuite un moment avec l’air de la méditation, puis les relevant vers le ciel, et prononçant ces mots d’une voix ferme et grave : Dieu seul est grand, mes frères ! Quel exorde renfermé dans une seule parole accompagnée de cette action ! Comme elle devient sublime par le spectacle qui entoure l’orateur ! Comme ce seul mot anéantit tout ce qui n’est pas Dieu ! (La Harpe.)