Page:Massillon - Sermons et morceaux choisis, 1848.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Suivez de siècle en siècle l’histoire des justes, et voyez si Loth se conformait aux voies de Sodome, et si rien ne le distinguait de ses citoyens ; si Abraham vivait comme ceux de son siècle ; si Job était semblable aux autres princes de sa nation ; si Esther, dans la Cour d’Assuérus, se conduisait comme les autres femmes de ce prince ; s’il y avait beaucoup de veuves à Béthulie et dans Israël, qui ressemblassent à Judith ; si parmi les enfants de la captivité, il n’est pas dit de Tobie seul qu’il n’imitait pas la conduite de ses frères, et qu’il fuyait même le danger de leur société et de leur commerce : voyez si dans ces siècles heureux, où les Chrétiens étaient encore saints, ils ne brillaient pas comme des astres au milieu des nations corrompues, et s’ils ne servaient pas de spectacle aux anges et aux hommes, par la singularité de leurs mœurs ; si les païens ne leur reprochaient pas leur retraite, leur éloignement des théâtres, des cirques, et des autres plaisirs publics ; s’ils ne se plaignaient pas que les chrétiens affectaient de se distinguer sur toutes choses de leurs citoyens ; de former comme un peuple à part au milieu de leur peuple ; d’avoir leurs lois et leurs usages particuliers ; et si, dès là qu’un homme avait passé du côté des chrétiens, ils ne le comptaient pas comme un homme perdu pour leurs plaisirs, pour leurs assemblées, et pour leurs coutumes : enfin, voyez si dans tous les siècles, les saints, dont la vie et les actions sont venues jusqu’à nous, ont ressemblé au reste des hommes.

Vous nous direz peut-être que ce sont là des singularités et des exceptions, plutôt que des règles que tout le monde soit obligé de suivre : ce sont des exceptions, il est vrai ; mais c’est que la règle générale est de se perdre ; c’est qu’une âme fidèle au milieu du monde, est toujours une singularité qui tient du prodige. Tout le monde, dites-vous, n’est pas obligé de suivre ces exemples : mais est-ce que la sainteté n’est pas la vocation générale de tous les fidèles ? Est-ce que pour être sauvé il ne faut pas être saint ? Est-ce que le Ciel doit beaucoup coûter à quelques-uns, et rien du tout aux autres ? Est-ce que