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proclamer que la colonie en fut sauvée. Le Journal des Jésuites même, dans sa courte mention de quatre lignes, n’oublie pas d’enregistrer « qu’une armée de 700 Iroquois préparée pour venir à Québec fut divertie pour ce coup par ce rencontre. » Le Père Chaumonot déclare encore plus nettement que les 17 Français ont été les victimes qui ont sauvé le pays, « car il est certain, ajoute-t-il que sans cette rencontre, nous étions perdus sans ressources… »

Mais voici qu’à la fin du XVIIe siècle, un retour singulier se produit. La mémoire de Dollard et de ses compagnons parait soudain s’effacer. Une ou deux générations à peine ont passé et les petits-fils de ceux qu’ils ont si généreusement sauvés ont déjà oublié jusqu’au nom des héros du Long-Sault. Nous ne connaissons pas de plus mélancolique illustration du beau vers du poète :

Le vrai tombeau des morts est le cœur des vivants.

Vers 1722 Bacqueville de la Potherie publie son Histoire de l’Amérique septentrionale et essaye d’y retracer les commencements de la Nouvelle-France. Rien n’y apparaît du souvenir de Dollard et de compagnons.

Le Père Charlevoix, dans son Histoire de la Nouvelle-France de 1744 ne nous parle pas davantage. Comment le consciencieux jésuite a-t-il pu négliger un événement aussi remarquable, aussi digne d’attention ? N’a-t-il pas eu connaissance des copieuses relations écrites en 1660 par les Pères de son ordre ? Il est difficile de le croire et cependant le silence du Père Charlevoix ne peut guère s’expliquer que par une longue intermittence dans la tradition orale sur laquelle il se serait principalement basé.

Mais il est peut-être encore plus étrange de constater le même oubli dans les Annales de la Sœur Morin. Ces Annales sont consacrées en grande partie précisément aux commencements de Ville-Marie et la vénérable religieuse qui les a rédigées était contemporaine de Dollard au même degré que M. Dollier de Casson, ayant fait son entrée à l’Hôtel-Dieu de Montréal en 1669, ou 9 ans seulement après le tragique combat du Long-Sault. Ce n’est que longtemps plus tard, il est vrai, et sur son vieil âge, que la sœur Morin entreprit ses mémoires pour l’édification des plus jeunes religieuses, ses compagnes, et le souvenir du Dollard avait alors évidemment cessé d’être aussi vivace.

Nous avons en ce moment sous les yeux une chronologie manuscrite de l’histoire du Canada écrite vers le milieu du 18e siècle par un sulpicien de Montréal ; les événements les plus ordinaires y sont abondamment relatés, et cependant, à la date de 1660, il n’apparaît pas