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PHILIPPE-AUBERT DE GASPÉ, PÈRE

tes chers amis, mais ça sera à poste de chien comme tu es venue, je ne sais comment, en tramant ta belle cage, qui aura déraciné toutes les pierres et tous les cailloux du chemin du roi, que ça sera une esclandre, quand le grand voyeur passera ces jours-ci, de voir un chemin dans un état si piteux ! Et puis, ça sera le pauvre habitant qui pâtira, lui, pour tes fredaines, en payant l’amende pour n’avoir pas entretenu son chemin d’une manière convenable !

Le tambour-major cesse enfin tout à coup de battre la mesure sur sa grosse marmite. Tous les sorciers s’arrêtent et poussent trois cris, trois hurlements comme font les sauvages quand ils ont chanté et dansé “ la guerre,” cette danse et cette chanson par laquelle ils préludent toujours à une expédition guerrière. L’île en est ébranlée jusque dans ses fondements. Les loups, les ours, toutes les bêtes féroces, les sorciers des montagnes du nord s’en saisissent, et les échos les répètent jusqu’à ce qu’ils s’éteignent dans les forêts qui bordent la rivière Saguenay.

Mon pauvre défunt père crut que c’était, pour le petit moins, la fin du monde et le jugement dernier.

Le géant au plumet d’épinette frappe trois coups : et le plus grand silence succède à ce vacarme infernal. Il élève le bras droit du côté de mon défunt père, et lui crie d’une voix de tonnerre : Veux-tu bien te dépêcher, chien de paresseux, veux-tu bien te dépêcher, chien de chrétien, de traverser notre amie ? Nous n’avons plus que quatorze mille quatre cents rondes à faire autour de l’île avant le chant du coq : veux-tu lui faire perdre le plus beau du divertissement ?

— Va-t’en à tous les diables d’où tu sors, toi et les tiens,