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CONTEURS CANADIENS-FRANÇAIS

ment était terminé. Nous venions de laisser l’Outaouais et nous entrions dans la rivière des Prairies ; nous n’étions qu’à quelques milles de chez mon père, où je me proposais d’arrêter un moment, avec mes compagnons, avant d’aller à Québec où nous descendions plusieurs canots chargés des plus riches pelleteries et d’ouvrages indiens que nous avions eus en échange contre de la poudre, du plomb et de l’eau-de-vie. Comme il n’était pas tard et que nous étions passablement fatigués, nous résolûmes d’allumer la pipe à la première maison et de nous laisser aller au courant jusque chez mon père. À peine avions-nous laissé l’aviron que nous apercevons sur la côte une petite lumière qui brillait à travers trois ou quatre vitres, les seules qui n’avaient pas encore été remplacées par du papier. Comme habitant de l’endroit, l’on me députe vers cette petite maison pour aller chercher un tison de feu. Je descends sur le rivage et je monte à la chaumière. Je frappe à la porte, on ne me dit pas d’entrer ; cependant j’entre. J’aperçois sur le foyer, placés de chaque côté de la cheminée, un vieillard et une vieille femme, tous deux la tête appuyée dans la main et les yeux fixés sur un feu presque éteint qui n’éclairait que faiblement les quatre murs blanchis de cette maison, si toutefois l’on pouvait appeler cela maison. Je fus frappé de la nudité de cette misérable demeure. Il n’y avait rien, rien du tout, ni lit, ni table, ni chaise. Je salue aussi poliment que me le permettait mon titre de voyageur des pays d’en haut, ces deux personnages à figures étranges et immobiles ; politesse inutile, on ne me rend pas mon salut, on ne daigne seulement pas lever la vue sur moi. Je leur demande la permission d’allumer ma pipe et de prendre un petit tison pour mes compagnons qui étaient sur la grève ; pas plus