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ALPHONSE POITRAS

ravant un serpent plus ou moins gros, selon que son imagination le lui avait plus ou moins grossi. L’autre avait vu à l’entrée de la forêt, un animal d’une forme extraordinaire, comme il ne s’en était jamais vu et comme il ne s’en verra probablement jamais ; un autre, et c’était pis encore, avait vu, au milieu de la nuit, par un beau clair de lune, et il ne dormait certainement pas, un homme d’une taille gigantesque, traversant les airs avec la rapidité d’une flèche. Venaient ensuite des histoires de loups-garous, de chasse-galerie, de revenants, que sais-je ? et mille autres histoires de ce genre. Ce qui ne contribuait pas peu à disposer les plus jeunes voyageurs à en voir autant, et plus s’il eût été possible.

D’ailleurs, tout dans ces expéditions lointaines tendait à leur exagérer les choses et à les rendre superstitieux. La vue de ces immenses forêts vierges avec leurs ombres mystérieuses, l’aspect de nos grands lacs qui ont toute la majesté de l’Océan, le calme et la sérénité de nos belles nuits du Nord, jetaient ces jeunes hommes, la plupart sans instruction, dans un étonnement, dans un vague indéfinissable, qui exaltaient leur imagination et leur faisaient tout voir du côté merveilleux.

Pourtant, quant à ce que je vais vous conter, vous lui donnerez le titre que vous voudrez ; vous le nommerez histoire, conte ou légende, peu importe, le nom n’y fait rien, mais ne doutez pas de la véracité du fait : mes auteurs étaient incapables de mentir. Voici ce que mon oncle, vieux voyageur, me racontait, il y a quelque dix ans, et ce qu’affirmait un de ses amis en ma présence, comme vous le verrez plus tard. C’est mon oncle qui parle :

« C’était par une belle soirée du mois de mai ; l’hiverne-