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PHILIPPE-AUBERT DE GASPÉ, FILS

rentra dans le silence ; ce silence dura une dizaine de minutes. Mon cœur battait à coups redoublés ; il me semblait que ma tête s’ouvrait et que ma cervelle s’en échappait goutte à goutte ; mes membres se crispaient et lorsqu’au troisième coup la porte vola en éclats sur mon plancher, je restai comme anéanti. L’être fantastique que j’avais vu passer, entra alors avec son chien, et ils se placèrent vis-à-vis de la cheminée. Un reste de flamme qui y brillait s’éteignit aussitôt, et je demeurai dans une obscurité complète.

Ce fut alors que je priai avec ardeur et fis vœu à la bonne sainte Anne que, si elle me délivrait, j’irais de porte en porte, mendiant mon pain le reste de mes jours. Je fus distrait de ma prière par une lumière soudaine ; le spectre s’était tourné de mon côté, avait relevé son immense chapeau, et deux yeux énormes, brillants comme des flambeaux, éclairèrent cette scène d’horreur. Ce fut alors que je pus contempler cette figure satanique : un nez lui couvrait la lèvre supérieure, quoique son immense bouche s’étendît d’une oreille à l’autre, lesquelles oreilles lui tombaient sur les épaules, comme celles d’un lévrier. Deux rangées de dents noires comme du fer, et sortant presque horizontalement de sa bouche, se choquaient avec un fracas terrible. Il porta son regard farouche de tous côtés, et, s’avançant lentement, il promena sa main décharnée et armée de griffes sur toute l’étendue du premier lit ; du premier lit il passa au second, et ainsi de suite jusqu’au onzième, où il s’arrêta quelque temps. Et moi, malheureux ! je calculais, pendant ce temps-là, combien de lits me séparaient de sa griffe infernale. Je ne priais plus ; je n’en