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CONTEURS CANADIENS-ERANÇAIS

— Mais, dites-moi donc, père, ce que veus avez à craindre pour votre fille ; elle va sans doute ce soir chez des gens honnêtes.

— Ah ! monsieur, reprit le vieillard, vous ne savez pas ; c’est une vieille histoire, mais qui n’en est pas moins vraie ! Tenez, nous allons bientôt nous mettre à table, et je vous conterai cela en frappant la fiole. Je tiens cette histoire de mon grand-père, dit le bonhomme ; et je vais vous la conter comme il me la contait lui-même :

Il y avait autrefois un nommé Latulipe qui avait une fille dont il était fou ; en effet c’était une jolie brune que Rose Latulipe ; mais elle était un peu scabreuse pour ne pas dire éventée. — Elle avait un amoureux nommé Gabriel Lepard, qu’elle aimait comme la prunelle de ses yeux ; cependant, quand d’autres l’accostaient, on dit qu’elle lui en faisait passer. Elle aimait beaucoup les divertissements, si bien qu’un jour de mardi gras, un jour comme aujourd’hui, il y avait plus de cinquante personnes assemblées chez Latulipe ; et Rose, contre son ordinaire, quoique coquette, avait tenu toute la soirée fidèle compagnie à son prétendu ; c’était assez naturel ; ils devaient se marier à Pâques suivant. Il pouvait être onze heures du soir, lorsque tout à coup, au milieu d’un cotillon, on entendit une voiture s’arrêter devant la porte. Plusieurs personnes coururent aux fenêtres, et frappant avec leurs poings sur les châssis, en dégagèrent la neige collée en dehors afin de voir le nouvel arrivé, car il faisait bien mauvais. Certes ! cria quelqu’un, c’est un gros ; comptes-tu, Jean, quel beau cheval noir ; comme les yeux lui flambent ; on dirait, le diable m’emporte, qu’il va grimper sur la mai-