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MES SOUVENIRS
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cette année-là, dans le Bois de la Cambre, que j’eus la première vision musicale de l’ouvrage.

C’était en un bel après-midi, par un pâle soleil aux lueurs automnales. On sentait qu’une sève généreuse se retirait lentement de ces beaux arbres. Le vert et gai feuillage qui couronnait leur cime avait disparu. Une à une, au caprice du vent, tombaient les feuilles grillées, roussies, jaunies par le froid, ayant pris à l’or, ironie de la nature ! son éclat, ses nuances comme ses teintes les plus variées.

Rien ne ressemblait moins aux arbres maigres et ctiétits de notre bois de Boulogne. Au développement de leurs rameaux, ces arbres magnifiques pouvaient rappeler ceux tant admirés dans les parcs de Windsor et de Richemond. Je marchais sur ces feuilles mortes, et les chassais du pied ; leur bruissement me plaisait, il accompagnait délicieusement mes pensées.

J’étais d’autant plus au cœur de l’ouvrage, dans « les entrailles du sujet », que, parmi les quatre ou cinq personnes avec lesquelles je me trouvais, figurait la future héroïne de Thérèse.

Je recherchais partout, avidement, ce qui se rapportait aux temps horribles de la Terreur, tout ce qui, dans les estampes, pouvait me redire la sinistre et sombre histoire de cette époque, afin d’en rendre avec la plus grande vérité possible les scènes du second acte, que j’avoue aimer profondément.

Étant donc rentré à Paris, ce fut dans mon logis de la rue de Vaugirard que, pendant tout l’hiver et le printemps (j’achevai l’ouvrage, l’été, aux bords de la mer), je composai la musique de Thérèse.

Je me souviens qu’un matin, le travail d’une situa-